Les minières s’installent de plus en plus dans des marchés émergents et sont ainsi nombreuses à y demander l’aide de partenaires de services de confiance. Dan Allan nous parle des difficultés que rencontrent les petites et moyennes entreprises de services et les moyens qu’elles déploient pour s’établir à l’étranger et nous fait part de certaines leçons importantes.
Dans un contexte où s’intensifie la demande mondiale de métaux sous l’effet de la transition énergétique, de l’urbanisation et de la construction d’infrastructures, les minières se voient de plus en plus repoussées jusque dans des zones éloignées, politiquement instables ou socio-économiquement complexes.
Si ces entreprises savent s’y prendre quand vient le temps de conquérir de nouveaux marchés et de mettre en place des chaînes d’approvisionnement complètement nouvelles, elles peinent davantage à dénicher des spécialistes pour des choses telles que l’entretien pour mettre les chances de leur côté dès le départ.
Pour les plus grands fabricants d’équipement et fournisseurs de services, l’arrivée sur de nouveaux marchés, pour un client qui s’y trouve ou pour la simple croissance de l’entreprise, est une tâche comme une autre, et des ressources sont prévues en conséquence. Ces entreprises peuvent aller rapidement chercher les capitaux et talents nécessaires pour décrocher des contrats et comptent sur une équipe juridique, une équipe de gestion des risques et une équipe de mise en conformité d’envergure.
Pour les petits et moyens fournisseurs de services, cependant, la situation est fort différente. Les nouveaux marchés peuvent susciter des transformations, mais présentent en même temps des risques disproportionnés qui peuvent donner un coup dur à l’entreprise. De plus en plus d’entreprises se demandent aujourd’hui si elles devraient plonger ou non.
L’arrivée en trombe des marchés émergents
Étant donné les 13 années qu’il a passées au poste de vice-président principal de Mining Tire Group de Kal Tire, Dan Allan sait plus que quiconque quoi faire dans ce genre de situation et connaît les évaluations qui doivent avoir lieu au préalable. L’entreprise a des activités dans une trentaine de pays, à la fois sur des marchés bien établis et d’autres présentant un potentiel à court terme. “En moyenne, mon équipe et moi soumettons chaque année au conseil d’administration une à trois demandes d’entrée sur de nouveaux marchés, un rythme resté constant depuis mon arrivée chez Kal Tire”, a déclaré M. Allan.
C’est un peu la même chose dans le reste de l’industrie. Le sondage annuel de 2024 de l’Institut Fraser auprès des minières, par lequel on a classé 82 territoires en fonction de leur capacité à attirer les investissements, montre que l’industrie minière s’étend partout dans le monde. Les marchés émergents, c’est-à-dire les pays qui passent d’une économie à faible revenu à une économie plus industrialisée et à un niveau de vie plus élevé, y occupent une place prépondérante. Si des marchés établis comme la Finlande, le Nevada ou l’Alaska dominent encore le classement 2024, des pays tels que le Guyana, les Philippines et l’Arabie saoudite figurent eux aussi parmi les 25 principales destinations.
Dans un récent article, la Banque mondiale souligne que la réponse à la forte demande de minéraux nécessaires à la transition énergétique se trouve dans les pays en développement riches en ressources. On y lit que plus des deux tiers des réserves de lithium connues dans le monde se trouvent en Argentine, en Bolivie et au Chili, le « triangle du lithium ». La République démocratique du Congo (RDC) détient les plus grandes réserves de cobalt au monde et les réserves de bauxite sont majoritairement localisées au Brésil, en Guinée, en Indonésie et en Jamaïque. Ce ne sont pas moins de 1 700 milliards de dollars qu’il faudrait injecter dans le milieu des mines à l’échelle internationale d’ici 2050 si nous voulons répondre à la demande de minerais essentiels comme ceux-là.
Des normes élevées pour le travail et le niveau de vie
Les minières, tout comme les fournisseurs de services, font désormais l’objet d’une surveillance accrue de la part des investisseurs, des gouvernements, des employés et de la société civile lorsqu’elles évaluent un marché et envisagent de s’y établir. Les intervenants attentifs aux critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) exigent désormais des justifications claires lorsqu’une entreprise envisage de s’implanter dans un marché émergent, surtout si le pays concerné présente un historique contesté en matière de gouvernance ou de droits de la personne.
Il est donc essentiel de trouver un équilibre entre risques, responsabilités sociales et débouché et de maintenir la transparence tout au long du processus. Les entreprises peuvent utiliser le Pacte mondial des Nations Unies dans leurs évaluations. On y mentionne que les entreprises doivent maintenir les normes du pays le plus strict où elles œuvrent partout où elles sont implantées. Allan est un partisan de l’approche : “L’obligation de toute entreprise entrant dans un nouveau marché est d’y déployer les normes les plus strictes auxquelles elle adhère pour élever à la fois les conditions de travail et le niveau de vie”, a-t-il déclaré.
“Kal Tire suit de près les principes énoncés dans le Pacte mondial des Nations Unies et applique les valeurs et emploie les mêmes pratiques qui lui sont chères au Canada partout où elle est implantée. Autrement dit, nous traitons les membres d’équipe d’ailleurs dans le monde aussi bien que nous le faisons au Canada. Par exemple, on constate sur les marchés émergents un vif intérêt pour les technologies avancées, par exemple notre système d’inspection autonome TireSight. On veille ainsi à la sécurité pendant le recrutement des travailleurs miniers locaux.”
Les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales sur la conduite responsable des entreprises sont aussi fort intéressants. Ils couvrent tout ce qui touche à la responsabilité des entreprises à l’étranger, notamment les droits de la personne et du travail, l’environnement, la corruption, la protection des consommateurs, la divulgation d’informations, les sciences et technologies ainsi que la concurrence et la fiscalité.
Pour les fournisseurs de services, ces principes ne sont pas qu’un gage de protection de la réputation : c’est aussi une nécessité stratégique. En appliquant des normes internationales à l’échelle locale, on réduit les risques et s’inscrit dans une volonté d’intégration des principes du développement durable pour le secteur minier du pays hôte.
Un équilibre entre gains et risques
Si les enjeux éthiques déterminent le bien-fondé d’un marché, ce sont les risques qui en établissent le réel potentiel. Pour M. Allan et son équipe, la sécurité est une condition sine qua non : « Si nous ne pouvons pas garantir la sécurité de nos membres d’équipe sur le nouveau marché, nous allons tout simplement nous abstenir, même si la chance semble en or ”, explique-t-il.
Les risques peuvent prendre plusieurs formes. Par exemple, au Burkina Faso, il y a eu des violences djihadistes en 2019, dont une attaque contre un convoi minier, ce qui a entraîné la suspension de multiples projets. En Colombie, les tensions entre mineurs indépendants et professionnels se sont récemment aggravées dans une mine souterraine où des explosifs artisanaux ont endommagé les infrastructures et interrompu temporairement la production en janvier 2025.
Les régimes fiscaux et la réglementation posent d’autres problèmes. Des pays comme l’Argentine et le Brésil, bien que riches en ressources, ont des impôts et des obligations qui les relèguent très loin au classement selon l’indice de perception des politiques de l’Institut Fraser. Pour les petites entreprises de services qui ne disposent pas de services juridiques et comptables d’envergure, ce genre de situation refroidit certainement les ardeurs.
Un autre risque prend de plus en plus de place aussi : le protectionnisme vis-à-vis des ressources. Les États riches en ressources veulent de plus en plus garder mainmise sur leurs richesses minérales et augmentent les redevances, en imposant des règles de contenu local et, dans certains cas, en saisissant purement et simplement les biens de production.
Nous en avons eu un bel exemple récemment : en 2025, un tribunal malien a placé le complexe Loulo-Gounkoto de Barrick Gold sous administration provisoire de l’État à la suite de litiges concernant les obligations fiscales et l’interprétation du code minier révisé du pays. Il y a eu saisie des stocks d’or et suspension des exportations, un réel bâton dans les roues pour l’une des mines d’or les plus productives d’Afrique; Barrick a dû entamer une procédure d’arbitrage.
Pour les fournisseurs de services, de telles mesures peuvent entraîner des répercussions en chaîne, allant de la suspension immédiate de contrats à la modification soudaine des règles d’importation ou des exigences de participation locale. Les situations de ce genre illustrent à quel point le profil de risque peut évoluer rapidement et rappellent l’importance de prévoir des contrats souples, de diversifier sa clientèle et d’élaborer des plans d’urgence en fonction de plusieurs scénarios. Il est donc fortement recommandé d’adopter une approche intégrée de la gestion des risques en s’inspirant du savoir-faire d’entreprises spécialisées.
Sur le terrain
Au-delà des enjeux de sécurité et de conformité, les entreprises doivent tenir compte des réalités culturelles, géopolitiques et économiques locales ainsi que des effets potentiels à long terme de facteurs d’envergure mondiale comme les changements climatiques sur la viabilité de leurs activités.
Comme le souligne M. Allan, si les outils numériques et la recherche en ligne facilitent l’accès à l’information, le contenu demeure occidentalocentré. L’observation directe apporte un éclairage que les données seules ne montreront pas. Par exemple, de nombreux camps miniers, bien qu’implantés dans des zones à haut risque, figurent parmi les environnements les plus sûrs, car les minières y investissent massivement dans la protection des personnes et des infrastructures.
“Rien ne remplace l’évaluation d’un nouveau marché sur le terrain, affirme M. Allan. Il est souvent difficile d’avoir la bonne information sur un pays et sa culture étant donné le contexte médiatique actuel, malheureusement. La plupart du temps, la réalité est bien meilleure que ce qu’on pourrait imaginer.”
Leçons apprises, leçons transmises
Par expérience, Kal Tire a pu tirer plusieurs leçons importantes. La première tient à l’importance de demeurer objectif. “Il est facile de se laisser emporter par l’enthousiasme que suscite un nouveau débouché; on risque alors d’ignorer des éléments essentiels ou de commettre des erreurs”, souligne M. Allan.
La deuxième porte sur les partenariats locaux. En Guinée, suivant une collaboration avec des conseillers du pays tôt dans le processus, Kal Tire a pu se familiariser avec la réglementation locale et se montrer ainsi crédible, à une époque où le secteur minier du pays était encore en pleine structuration. La démarche a porté son fruit lorsque la production a pris son envol et atteint une quantité respectable à l’échelle mondiale.
Une autre leçon serait la tendance à sous-estimer les coûts. La création d’entités juridiques, les déclarations de revenus et le respect des obligations du code du travail peuvent coûter bien plus cher que prévu. Sans planification adéquate, les petites entreprises risquent rapidement de se retrouver en difficulté financière.
Enfin, la flexibilité est essentielle. Les conditions peuvent évoluer brusquement et les fournisseurs doivent être prêts à s’adapter. Au plus fort de la pandémie de COVID-19, un membre d’équipe de Kal Tire est resté bloqué douze semaines au Burkina Faso alors qu’il ne devait y rester que deux jours. L’incident a mis en évidence que la protection des employés ne se limite pas à une obligation légale : elle est avant tout une responsabilité humaine.
Le marché appartient à ceux qui arrivent tôt
Malgré les risques, il peut être payant de s’implanter tôt sur de nouveaux marchés. En RDC, les premiers travaux de Kal Tire dans la ceinture de cuivre du Katanga ont ouvert l’accès à de nombreux clients, même si les exigences de conformité nous ont finalement obligés de nous retirer. De même, en Équateur et au Burkina Faso, notre arrivée avant même que le marché se soit structuré nous a ouvert des portes.
Le principe est clair : le simple fait d’être sur place et d’engranger les résultats met les gens en confiance. Comme l’explique M. Allan : “Lorsqu’un fournisseur de services s’implante dans un nouveau pays ou une nouvelle région et que les autres minières constatent que vous aidez une des leurs… le contrat fera des petits, si tout se déroule bien.”
Au-delà des avantages commerciaux, on ne peut non plus nier la contribution de l’exploitation minière au développement local. Selon le dernier rapport sur les contributions fiscales des membres de l’ICMM, les 24 minières ayant transmis leurs données ont versé 41,1 milliards de dollars des États-Unis en salaires, traitements et autres rémunérations à environ 609 300 employés dans le monde en 2024. Elles ont également investi 203,8 milliards de dollars dans des partenariats avec des fournisseurs et versé 1,5 milliard de dollars pour le bien-être social et économique des collectivités où elles sont implantées.
En favorisant une exploitation minière responsable, les fournisseurs de services contribuent eux aussi, de manière indirecte, au développement économique et social des pays hôtes.
L’importance d’un plan de sortie

Quitter un marché peut se révéler aussi complexe que d’y entrer. Comme le rappelle M. Allan, même les meilleurs plans ne donnent pas toujours les résultats escomptés. Le contexte politique peut évoluer brusquement, et les conflits, s’intensifier du jour au lendemain. Dans les zones à haut risque, il est donc essentiel de mettre en place des mécanismes pour suivre la situation locale, d’appliquer des mesures de protection et de prévoir des scénarios de retrait au cas où la situation deviendrait intenable.
Même lorsque les changements sont plus lents et moins spectaculaires (tout contrat a une fin après tout), préparer une stratégie de sortie peut faire éviter de nombreux coûts et des années de démarches administratives. Kal Tire en a fait l’expérience : la fermeture de ses activités en Sierra Leone, amorcée il y a près de dix ans, ne s’est achevée que récemment.
Il ne fait donc aucun doute qu’une mise en conformité dès le départ pèse lourd dans la balance. Entrer sur un marché sans disposer de la structure juridique et fiscale appropriée peut entraver la sortie le temps venu, et les petites entreprises de services pourraient en ressentir les lourdes conséquences.
Une expansion responsable
Il est peu probable que les mines de demain voient le jour dans des régions très développées ou bien desservies. L’industrie minière part de plus en plus à la conquête de contrées éloignées et complexes.
Les fournisseurs de services doivent être de la partie s’ils veulent demeurer compétitifs. Leur succès dépendra toutefois d’une évaluation rigoureuse, d’une gestion disciplinée des risques et d’un partenariat avec des minières responsables. La véritable question n’est donc pas de savoir s’il faut plonger, mais bien comment le faire de manière responsable. “Kal Tire croit que si elle peut contribuer, même modestement, à améliorer la vie des habitants d’une région et que les risques courus sont tolérables, il vaut mieux qu’elle y soit que non”, résume M. Allan.
À l’échelle macroéconomique, l’exploitation minière est un agent transformateur pour des nations entières. Pour les entreprises qui se définissent par leur mission, participer à un développement socio-économique de cette nature peut être perçu comme une réussite aussi significative qu’une croissance de leurs parts de marché. En faisant preuve de discipline et prudence et en adoptant des valeurs fortes, les fournisseurs de services de toutes les tailles peuvent rendre le mouvement mondial que connaissent les minières bénéfique à tout le monde.
Leçons à retenir
Kal Tire a beaucoup appris au fil des années et a des recommandations à formuler aux petits et moyens fournisseurs de services qui souhaitent s’implanter sur des marchés émergents:
- Demeurer objectif : Éviter de surestimer les débouchés potentiels.
- Faire appel à des experts locaux et à des partenaires de confiance : S’informer de ce qui se passe sur le terrain et se faire recommander des ressources locales.
- Tout planifier : Élaborer des stratégies d’entrée et de sortie pour réduire les risques financiers et réglementaires. Des spécialistes indépendants s’assureront qu’on respecte la réglementation et le régime fiscal locaux.
- Mettre l’information dans son contexte : Passer du temps sur le site, dans les environs et avec les résidants. Il est primordial de s’informer sur la culture locale et les attentes envers l’entreprise si on veut tirer son épingle du jeu.
- Établir un budget réaliste : Les coûts administratifs et de mise en conformité sont souvent plus élevés que prévu. Prévoir une marge de manœuvre dans son budget.
Plus d’informations
Lisez-en davantage sur notre approche dans les régions où nous opérons, ou contactez-nous pour plus d’informations.